Câbles sous-marins vulnérables : l’UE est-elle prête à faire face ?

Câble sous-marin à haute vitesse reliant Singapour à la France lors de son installation - Mars 2016
Câble sous-marin à haute vitesse reliant Singapour à la France lors de son installation - Mars 2016 Tous droits réservés BORIS HORVAT/AFP
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Par Valentine Hullin
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Câbles sous-marins vulnérables : l’UE est-elle prête à faire face ?

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On a tendance à les oublier mais ils sont essentiels dans notre quotidien. Les câbles sous-marins qui assurent les liaisons internet et téléphoniques sont soumis à de nombreuses menaces. L'Union européenne commence tout juste à s'emparer du sujet. Que fait-elle pour protéger ce secteur "supra-critique" ?

23 000 insulaires (presque complètement) coupés de monde pendant plusieurs jours. La scène se passe sur les îles Shetland au nord-est de la Grande-Bretagne, dans la nuit du 19 au 20 octobre. Les uns tentent alors de se connecter à internet, les autres de passer des appels, sans succès. En cause, la rupture d'un câble sous-marin reliant les Shetland au reste de l'Ecosse. 

Aujourd'hui, et on l'oublie parfois, l'essentiel de nos échanges virtuels dépendent d'infrastructures subaquatiques bien réelles. 99% des communications passent par un réseau tentaculaire d'un 1,3 million de kilomètres de câbles à fibre optique déroulés au fond de nos mers et nos océans. 

Si l'incident survenu en mer du Nord semble être avoir été causé par un bateau de pêche, une autre affaire pourrait, elle, relever d'un sabotage. En effet, les premiers éléments d'enquête indiquent que plusieurs câbles terrestres reliés au réseau sous-marin près de Marseille, dans le sud de la France, ont, eux, été sectionnés à dessein.

Volontaires ou accidentelles, d'origine humaine ou naturelle, les ruptures, dégradations, détériorations de câbles sous-marins sont courantes et poussent à se questionner sur leur vulnérabilité décuplée depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février dernier. 

Des incidents "plusieurs fois par semaine"

"Des incidents au niveau des câbles sous-marins ont lieu plusieurs fois par semaine" rappelle Camille Morel, contactée par Euronews. La chercheuse en relations internationales, associée à l'Institut d'études de stratégie et de défense à Lyon et experte en géopolitique des câbles sous-marins, insiste "il faut bien savoir que 70% des dommages sont accidentels". Et souvent, ce sont les ancres des chalutiers et autres bateaux de pêche qui sont en cause. 

Mais existe-t-il un risque de black-out total, que toutes les connexions soient rompues ? Il faudrait pour cela que la quasi-totalité du réseau sous-marin soit endommagée. Or dans la plupart des cas, seuls quelques câbles sont touchés et ils sont rapidement réparés. Camille Morel se veut rassurante "Il y a pas d'alarmisme du côté des chercheurs. Globalement en Europe, nous sommes plutôt résilients sur la question”

Aujourd'hui, les câbles sous-marins sont possédés par des opérateurs privés, qui se chargent de leur protection et de leur maintenance. Orange Marime, par exemple, possède une flotte de plusieurs câbliers dont le Raymond Croze qui couvre notamment la Méditerranée. 

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Le Raymond Croze, câblier d'Orange Marine en charge de la maintenance des câbles sous-marins sur lequel travaille Remy CambaLicences Creative Commons

En cas de dysfonctionnement en mer, les équipes du Raymond Croze sont prévenues par une station terrestre. Une fois géolocalisée, l'infrastructure endommagée est réparée. Pendant ce laps de temps, de plusieurs jours parfois, le flux d'informations est dévié vers un autre câble qui prend alors le relais, sans que les utilisateurs soient affectés.

Joint par téléphone, Rémy Camba, responsable d'un robot chargé de la maintenance des câbles sous-marins, à bord du Raymond Croze, confirme qu'en 30 années de carrière, il n'a été confronté qu'à "deux cas de coupures suspectes qui pourraient être du sabotage, dont une fois au large de la Crimée. Mais rien n'a jamais été avéré". 

Que fait l'Union européenne ?

Bien qu'il soit absolument impossible de protéger l'ensemble du réseau sous-marin des menaces extérieures, l'UE commence à se préoccuper du sujet. "L’attention politique portée spécifiquement sur les câbles marins est finalement assez récente. Elle remonte aux années 2010” détaille la chercheuse Camille Morel. “L’UE commence à intervenir concrètement, même si ça reste timide, en finançant des câbles alternatifs”

En juin 2021, le Portugal inaugurait le premier câble sous-marin reliant l'Europe et l'Amérique du Sud et dont la construction a largement bénéficié de fonds européens.

Le mystérieux "sabotage" des gazoducs de NordStream en mer Baltique, il y a un mois, a attiré aussi l’attention de Bruxelles sur la grande vulnérabilité des infrastructures sous-marines en Europe.

Le 5 octobre dernier, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne a insisté lors d'une séance plénière à Strasbourg, sur "l’intérêt de tous les Européens de mieux protéger les infrastructures stratégiques". Elle a aussi développé un plan en cinq points dans lequel elle ne cible pas spécifiquement les câbles marins mais y fait référence. 

Parmi les propositions figurent notamment le lancement de tests de résistance pour déterminer s’il existe des points faibles et leur localisation. Ces vérifications existent déjà dans le secteur de l’énergie mais devront être étendus à "d'autres secteurs à haut risque, tels que le numérique offshore et l'infrastructure électrique”.

La présidente de la Commission voudrait aussi une "meilleure utilisation des satellites de surveillance" ainsi que le "renforcement de la coopération avec l’OTAN" et avec “des partenaires clés comme les Etats-Unis".

C'est "loin d'être ce dont nous avons besoin" lui a répondu Bart Groothuis, eurodéputé néerlandais du groupe Renew, très engagé sur cette question. Il va jusqu'à proposer "l'installation de capteurs sous l’eau" afin de surveiller les câbles en temps réel. À noter que des capteurs ont déjà été installés sur certains câbles, mais ils ont, pour l'instant, une vocation scientifique. 

Traduction : "La bataille sous-marine est lancée. Nous avons besoin de plans d'urgence dès maintenant".

Le Parlement européen a également commandé et publié un rapport sur la question sorti en juin dernier. Les auteurs recommandent notamment la création d’un “groupe de coordination de la résilience des câbles”. En effet, il n'existe pas aujourd'hui d'agence dédiée spécifiquement à cette mission. 

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Et que fait la France ?

La France est "relativement en alerte sur ces sujets ultrasensibles depuis plusieurs années" indique l'experte en câbles sous-marins Camille Morel. Mais le président français semble particulièrement attentif depuis les explosions survenues en mer Baltique à proximité de gazoducs russes NordStream 1 et 2.

La radio française Europe 1 a notamment révélé le 3 octobre dernier, le souhait d'Emmanuel Macron d’"inspecter toutes les infrastructures françaises", soit une trentaine de câbles de plusieurs dizaines de kilomètres. Il a aussi requis une "surveillance renforcée" du réseau.

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