Le traité sur la haute mer ouvre la voie à la protection des océans

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Par Denis LoctierEuronews
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Face à l'augmentation des activités humaines en haute mer, un traité permet désormais aux Etats de définir des zones à protéger dans les eaux internationales, dans une optique de préservations de la faune marine, mais aussi de sécurité alimentaire.

En mer, il est impossible de voir les frontières entre les pays, et pourtant, elles peuvent jouer un rôle déterminant dans la survie de la faune marine. Ce mois-ci, des chercheurs à bord d'un navire de Greenpeace ont mené une étude sur la réserve marine des Galápagos et ses environs.

Si la biodiversité peut s’épanouir dans ces vastes espaces protégés, le danger guette dès que l’on franchit ces barrières, pour se retrouver dans les eaux internationales.

À l'est des îles Galápagos, les espèces migratrices doivent traverser une zone de pêche industrielle qui n'est soumise aux lois d’aucun Etat. Et dans cette région du globe comme dans tant d’autres, la haute mer doit faire face à une augmentation préoccupante des activités humaines.

"Avec l’émergence de nouveaux secteurs industriels, comme l'exploitation minière en eaux profondes, mais aussi les pratiques de pêche non durables, nous sommes vraiment inquiets, parce que ces zones sont particulièrement sensibles", explique Stuart Banks, chercheur en sciences marines au sein de la Fondation Charles Darwin. "Si cette incroyable diversité n’est pas reconnue, nous risquons de la voir disparaître avant même d'avoir eu la possibilité de la reconnaître, de l'apprécier et de la protéger".

Jusqu'à présent, les Etats ont eu du mal à désigner des sites protégés en dehors de leurs propres zones économiques exclusives. Mais les militants écologistes espèrent qu'un nouveau traité international pourra changer la donne, en autorisant la protection des zones océaniques au-delà des juridictions nationales.

"Si nous parvenons à faire désigner cette zone comme une aire marine protégée, ce sera une grande victoire", estime Ruth Ramos, chargée de plaidoyer chez Greenpeace. "Nous comblerons une carence, en veillant à ce qu'une région autrefois fortement menacée par la pêche industrielle soit protégée, ce qui permettra aux espèces de nager en toute sécurité".

L'objectif consiste à tenir à distance des écosystèmes fragiles et des trajectoires de migration les activités destructrices, telles que la pêche intensive et le trafic maritime, particulièrement chargé.

"Les requins vont mener leur vie, les tortues aussi. C'est à nous de nous adapter à eux", indique Alex Hearn, enseignant-chercheur à l'école des sciences biologiques et environnementales de l'université San Francisco de Quito. "Et l'idée, c’est de trouver la meilleure solution pour les accueillir, avec un impact minimum sur les différents secteurs et activités économiques".

Pendant longtemps, l'idée de protéger la haute mer a semblé hors de portée. Les eaux internationales, qui couvrent la moitié de la surface de la Terre, sont gérées par une mosaïque d'organisations. Et chacune d’entre elles est dédiée à des régions ou à des activités spécifiques. Aucune n'a l'autorité suffisante pour garantir la protection de la biodiversité des océans.

D’après, des études récentes, la protection de certaines zones stratégiques de la haute mer pourrait permettre de restaurer la biodiversité des océans, le tout avec un impact limité sur l'industrie de la pêche.

Mais les efforts consacrés à la protection de l’environnement doivent prendre en compte l’ensemble des activités en mer, y compris le trafic maritime mondial, qui traverse des zones sensibles en haute mer.

Concilier la protection des océans et le maintien de nos économies interdépendantes relève d’un équilibre délicat à trouver.

Il aura fallu plus de quinze ans de pourparlers aux Nations unies pour qu'en mars 2023, les délégués parviennent à un accord historique visant à protéger la biodiversité des écosystèmes marins dans les eaux internationales.

L'accord sur la biodiversité au-delà des juridictions nationales, également connu sous le nom de "traité sur la haute mer", ne crée pas de nouvelles zones protégées, mais il établit un cadre juridique permettant aux Etats de le faire.

Ce traité a été signé par 88 parties, dont l'Union européenne et tous ses États membres, ainsi que par la Chine et les États-Unis.

"Le traité sur la haute mer nous permet, pour la première fois, de protéger les deux tiers de l'océan mondial", se félicite Rebecca Hubbard, directrice de High Seas Alliance. 

"Nous avons la possibilité d'évaluer de manière complète les effets potentiellement néfastes sur l'océan et ses ressources. Et pour la première fois, nous avons la capacité de garantir que les bénéfices et l'accès à ces ressources soient partagés de manière équitable et juste".

Le traité ne pourra entrer en vigueur que lorsqu'il aura été ratifié par au moins 60 États. Pour Minna Epps, directrice du service « Océan » à l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), les pays signataires souhaitent une application effective de ce texte.

"Cette volonté existe bel et bien", assure Minna Epps. "Il s'agit maintenant de savoir comment nous pouvons aider les pays, en renforçant leurs capacités, en les sensibilisant. Je pense également que les pays du Sud s'interrogent sur le coût de la mise en œuvre, les charges à supporter... Parallèlement, nous devons également mettre en place un mécanisme institutionnel pour le soutenir".

L'initiative Monaco Blue est l'un des lieux d’échange internationaux, où experts et décideurs se retrouvent pour discuter de la manière de mettre en œuvre ce traité, une fois qu’il sera entré en vigueur.

Lors de cette dernière édition, les Seychelles ont annoncé leur intention de ratifier l’accord, emboîtant le pas au Chili et aux Palaos, seuls pays à avoir agi de la sorte jusqu'à présent. Pour de nombreux Etats côtiers, l'économie et la sécurité alimentaire dépendent de la santé des écosystèmes en haute mer.

"La haute mer est éloignée, c'est le grand large", affirme David Obura, président de Monaco Blue, "mais elle est tout à fait essentielle à la vie dans les zones côtières, à la santé des récifs coralliens, aux stocks de poissons et aux populations de pêcheurs. Si nous ne gérons pas la haute mer, nous pouvons rompre ces équilibres. Les zones de pêche pourraient alors se tarir. Si nous protégeons efficacement la haute mer, nous pouvons réellement maintenir la résilience et la solidité des stocks de poissons et, par conséquent, les moyens de subsistance qui en découlent".

De nombreuses questions relatives à la mise en application de cet accord restent en suspens. Et il reste difficile pour les Etats de parvenir à un consensus, lorsque les intérêts économiques ne vont pas dans le même sens.

"Il est beaucoup plus facile de protéger ce qui se trouve dans les eaux d'un seul Etat, lorsque l'on traite avec un seul gouvernement", note Enric Sala, explorateur en résidence au sein de National Geographic. "La haute mer, c'est un peu comme le Far West. Cela va être très difficile, parce que même si un processus est en cours à l'ONU, et que cet outil juridique permettra aux pays de se mettre d'accord pour protéger des zones, nous savons que certains pays vont s'opposer à tout ce qui freinera leur pêche". 

La question du financement relève de l’urgence. L'objectif fixé en matière de biodiversité, à l’échelle du globe, vise à protéger au moins 30 % de la vie marine d'ici à 2030. Sa mise en œuvre va nécessiter des budgets considérables, avec des coûts et des responsabilités partagés de manière équitable entre les acteurs étatiques, et peut-être, aussi, le secteur privé.

"Qui est-ce qui doit payer pour protéger la nature ? Est-ce que c'est vous ? Est-ce que c'est moi ?", interroge Robert Calacagnon directeur Général de l'Institut Océanographique. "Nous devons réfléchir et mettre en place des mécanismes pour permettre le financement de la protection de la haute mer".

En revanche, certaines dépenses peuvent d’ores et déjà être considérées comme des investissements.

"C'est assez contre-intuitif, mais une aire marine protégée en haute mer permet aux stocks de poissons de revivre", assure Olivier Wenden, vice-président et administrateur délégué de la fondation Prince Albert II de Monaco, "et donc aux pêcheurs de développer leur activité économique. On considère que le ratio est de dix, c'est à dire 1 dollar investi en haute mer génère 10 dollars de retour sur investissement".

L'Union Européenne, qui a négocié l'accord sur la haute mer, voit dans ce texte une manifestation de son engagement en faveur du développement durable, et du partage équitable des ressources maritimes.

"Nous devons maintenant nous atteler à la ratification", indique Charlina Vitcheva, directrice générale chargée des affaires maritimes et de la pêche (DGMare) à la Commission européenne. "Et nous sommes assez avancés dans notre procédure européenne. J'espère vraiment que nous le ferons dès que possible, nos États membres également. Nous avons besoin de 60 signatures. Près de la moitié d'entre elles peuvent provenir de l'Union européenne. Ainsi, nous nous engageons à le faire dès que possible".

Les défenseurs du traité préconisent une entrée en vigueur d'ici à 2025, même s'ils redoutent de ne pas obtenir suffisamment de ratifications à temps. De leur côté, les chercheurs rappellent qu'au vu du nombre d’espèces marines menacées d'extinction, l'océan ne saurait attendre.

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